Ou une poignée d’impressions hâtives sur la capitale kenyane

Depuis mon arrivée j’ai été très occupée à parcourir la ville de fond en comble à la pêche du minimum nécessaire à notre installation, histoire de transformer notre nouvel espace de vie en quelque chose que l’on se sentirait presque rassurés d’appeler « chez nous » puisqu’on attend toujours l’expédition des quelques meubles restés à Paris. Des semaines d’efforts ménagers qui m’ont quand même laissé le temps de socialiser avec quelques étrangers comme moi, le jardinier, la caissière du supermarché, les gardes de sécurité et mon chauffeur. A bien y regarder, c’est presque du 100% local !

Ces circonstances me poussent à penser qu’il est probablement trop tôt pour me faire une idée exacte de la ville qui nous héberge depuis à peine 2 mois. Néanmoins, dans une Nairobi que la réputation criminelle précède, j’ai déjà ma petite idée des dos and don’ts puisqu’on comprend vite que le Kenya fait partie de ces pays où un instinct de survie bien aiguisé s’avère vital.

Vue d'ensemble du Business district à Nairobi, Kenya

Voici ma proposition de petit vocabulaire à l’usage de tout expat en herbe à Nairobi 😉

Là ou les gens mangent, dorment et font leurs besoins physiologiques : les compounds

Nairobi n’impose d’avance aucune séparation géographique ni culturelle avec les expats. Les expatriés ne vivent pas dans des casernements à l’écart des locaux. On vit tous dans des compounds à la sécurité renforcée matin, jour et nuit. Un seul critère sépare la population : le pouvoir d’achat. On ne s’étonnera pas d’ailleurs de constater que les kenyans de la middle et upper-class, qui ne manquent absolument de rien, sont bien plus dans la démonstration d’opulence que les étrangers. Cela leur accorde le privilège de vivre dans des résidences sécurisées à l’abri des tentations criminelles comme nous autres, dits « résidents temporaires au portefeuille facile ». Vous pouvez vous imaginer donc une ville divisée en quartiers plus ou moins centraux, plus ou moins chics, plus ou moins sécurisés, peu ou nullement éclairés, et à tous les coups emmaillotés de barbelés et de grilles électrifiées. Non non, rassurez-vous, vous n’êtes pas à Guantanamo !

Pendant les premières semaines, l’expérience de vivre dans la peau d’un criminel se révèle assez affligeante mais finalement vous constatez, avec une satisfaction grandissante, que c’est quand même grâce à cela que vous fermez l’œil la nuit.

Là ou l’on relègue les bannis : les bidonvilles

Nairobi possède un sacré renom en questions de criminalité. Ceci plonge dans l’ombre d’autres problématiques sociales tout aussi graves et qui sont justement à la racine de sa mauvaise réputation. Ayant travaillé quelques années parmi des humanitaires et autres spécimens s’adonnant, en cœur et âme, à la vadrouille dite « sociale », j’ai été sidérée en apprenant que Nairobi possède l’un des plus grands bidonvilles urbains d’Afrique. Et c’est là que j’ai compris tout le pouvoir de la médiatisation sociale (ou terroriste, reportez-vous au silence des médias à propos des attentats de Beyrouth perpétrés seulement la veille de Paris).

Deux bidonvilles, parmi les plus vastes, (shantytowns ou slums) délimitent le cœur de la ville : Kibera (peut-être un peu plus médiatisé et l’un des plus grands au monde après l’Afrique du Sud) au sud-ouest et Kangemi au nord-ouest. Ce sont les royaumes de la promiscuité, de la pauvreté et de l’abus dans toute sa splendeur. C’est là que se cachent les plus démunis quand ils ne s’emploient pas à la mendicité dans le centre ville.

**Crédits photo Fédération Muungano wa Wanavijiji

J’ai traversé ces fourmilières en voiture, sans y mettre (encore) les pieds. Non pas par manque d’intérêt sinon parce que je n’ai pas encore trouvé le moyen qui me permettrait de rendre visite aux riverains sans mettre en danger ma propre sécurité et, en même temps, leur témoigner le respect qu’ils méritent. Je ne souhaite surtout pas que mon intérêt soit pris par du voyeurisme. J’ai l’espoir de trouver le bon moyen, j’y travaille!

Là ou l’on risque sa peau au quotidien : les transports

Une fois que l’on maîtrise grossièrement la géographie complexe de la capitale kenyane, il vaut mieux se faire vite à l’idée de devoir se déplacer PARTOUT en voiture. Personnellement, j’ai encore un peu de mal à faire le deuil du transport à pied. Nairobi n’est pas une ville faite pour les piétons, à commencer par les trottoirs qui n’existent pas et la poussière qui vous aveugle, sans oublier les « matatus » (bus locaux) et les « boda-boda » (taxi-moto) qui se font une joie permanente d’essayer de vous faucher dès que vous faites mine de vouloir traverser la rue.

Grosso modo, pour se déplacer il reste peu d’options : soit on s’entasse dans lesdits « matatus » jusqu’à en perdre sa culotte, soit on a la chance de posséder une voiture. Moi, j’ai le plaisir d’appartenir à la deuxième catégorie et la calamité de collectionner les accrochages. Le tout pour le même prix !

Là où l’on s’approvisionne, où l’on drague et (parfois même) où l’on côtoie le 7ème art : les Malls

Les Malls, il y en a partout. Sur ce coup là, Nairobi n’a pas raté sa stratégie de consommation. C’est autour de ces centres commerciaux que la vie s’organise pour les expats et les kenyans aisés. Dans les Malls on trouve, supermarchés, une multitude de magasins de déco, librairies, salons de beauté et coiffure, restaurants et chaînes de restauration de facture locale. D’ailleurs, ce n’est pas le café qui manque ici mais les bonnes cafetières !

Dans ces temples de la dépense, la vie se déroulait tout à fait dans le bons sens de la consommation à l’occidentale jusqu’au jour où il est arrivé le Westgate (Google en sait bien plus que moi!). Avec les attaques du Westgate (à ne pas confondre avec le Watergate ! ), il y a eu un avant et un après, et dans ce court intervalle, la ville en est restée traumatisée. Avant il y avait beaucoup de monde dans ces Malls ; le weekend, les gens buvaient, riaient et mangeaient des glaces. Depuis le 21 septembre 2013, il plane une légère paranoïa et les citoyens s’empressent de finir leurs courses sans trop trainer dans des lieux de prédilection d’Al Shabaab. Quelque fois, dans un moment de faiblesse, lorsque je me laisse prendre par la psychose de la communauté internationale, je fais mes courses à l’aube ! Quoi? Il vous faut une preuve…?

Lever de soleil vers 6 heures du matin en centre ville, Nairobi

Là où l’on s’arrache les cheveux : la perception du temps

Ici, tout en particulier, il faut jouer de ses capacités et de sa volonté d’adaptation pour ne pas péter les plombs. Le jour du rendez-vous, mon heure, n’est jamais la leur. C’est incompréhensible, c’est à s’arracher les cheveux, c’est à en faire des cacas nerveux à répétition… mais c’est un fait. On appelle cela « l’heure swahili », autrement dit, je viens quand j’ai envie. Côté organisation personnelle, ça ne le fait pas ! No way ! En cas de fuite récidiviste sous l’évier, il faut mettre de côté une semaine de congés. Là encore, j’invoque sans cesse mon pouvoir d’intégration… mais pour l’instant il ne vient toujours pas ! Est-ce de l’indolence endémique, ou est-ce mon hystérie précoce ? Patience et sang froid !

Là où le sujet de conversation ne s’épuise jamais : le trafic

Au delà des inconvénients propres à toute métropole africaine, à Nairobi le trafic y est particulièrement épouvantable. Comme il y a des pays où l’on parle souvent de la météo, il y a des villes où l’on parle exclusivement du trafic. Ça c’est Nairobi.

Les accidents de la route à chaque coin de rue sont monnaie courante. Les sirènes des ambulances qui déboulent à tout bout de champ font partie de la bande son de la capitale kenyane. Les manœuvres téméraires et particulièrement incivilisées des kenyans (celle des expats aussi finalement, puisque qu’on a tendance à émuler pour survivre) rendent la conduite suicidaire. Pas de feu, pas de vrai régulation du trafic, la route est une piste d’auto-tamponneuses. Allez, on s’en fout de quel côté on déboule, c’est la fête foraine!

Notez bien cela : on reconnait un excellent chauffeur ou taxi à la somme de mauvaise fois qu’il déploie pour traverser carrefours et rondpoints. Bref, c’est ce que l’on appelle la loi du n’importe quoi. Au volant aussi, on fait appel à nos capacités d’adaptation… Aiguisez donc vos nerfs d’acier car la conduite à Nairobi n’est pas pour les timorés !

Là où l’on dépense son argent de poche au quotidien : la corruption

Connue comme le cancer de l’Afrique, c’est également la grande tumeur du Kenya. Parce que la justice et les droits civiques n’existent pas tels que nous, européens, les entendons, ici on paie des « bribes » à la moindre occasion. La population en est la principale victime qui à force de céder, non seulement elle entretien un système vicieux mais elle en devient sa plus grande complice. Pas plus que quelques semaines en ville et j’ai déjà fait connaissance avec les racketteurs, comme tous, un jour ou l’autre, voir au quotidien. Je n’en suis absolument pas fière. Ce phénomène je ne l’appellerai pas bakchich, c’est plutôt du racket institutionnalisé par l’abus de pouvoir des autorités et des nombreux fripons qui profitent du manque général d’intégrité. Mais soyons rassurés, maintenant que le Pape est venu donner des leçons de morale aux dirigeants, ça va sûrement tout changer !

Arrivés à cette ligne de mon article, le lecteur sera tenté de résumer Nairobi comme un lieu dangereux, frénétique, chaotique et poussiéreux en permanence. Oui, c’est cela Nairobi ; mais il y en a bien plus. Du haut de toute sa splendeur et de son foutoir, Nairobi dégage un je ne sais quoi de prometteur et de paradisiaque, où l’on arrive, parfois même, à y ressentir de la douceur : celle de son climat tempéré et ensoleillé, celle des gens honnêtes, celle de la fatalité et de l’espoir.

Nairobi c’est aussi le spectacle d’un immense jardin, d’une métropole truffée de petits poumons verts : Arboretum, Uhuru Park, Karura Forest, Ngong Road forest, Ololua forest, où ça fourmille toute la journée, où la population se donne rendez-vous le weekend pour partager un pique nique et taper le ballon.

Image d'Uhuru parc à Nairobi, depuis la route

Les acacias se noyant dans la végétation citadine réussissent le miracle de vous faire rêver de la savane en pleine ville. Et les jacarandas, aaah… ces majestueux arbres omniprésents d’août à octobre… ils rendent invisible le tricot de câbles électriques qui surplombent la ville et la transforment en un labyrinthe de couloirs violets ! Et les bougainvilliers, j’oubliais les bougainvilliers ! Il y en a autant que de voitures, tellement que je n’arrive plus à les dénombrer.

Presque au quotidien, ce grand centre du business qu’est Nairobi prend des airs de zoo où les hommes et les bêtes se partagent le territoire à parts égales. En plein centre ville, vous croiserez les vaches en train de paître, les ânes qui tondent la pelouse, les marabouts qui vous surveillent du haut des jacarandas et si c’est votre jour de chance, quelques chameaux qui ont perdu leur chemin…

Nairobi c’est une ville en constante transformation. Ça n’attend pas, ça bouge, ça court, ça fonce, sauf que le sprint n’est pas donné à tout le monde. Au delà des résidences urbaines à l’allure d’Alcatraz, des autorités véreuses, du sauve qui peut et des chaussées constellées de nids de poule, Nairobi s’érige comme un fort moteur économique.

C’est ici que l’Afrique de l’Est place aujourd’hui tous ses espoirs, et j’espère pouvoir partager davantage d’impressions avec vous tout au long de mon séjour.Un couple de jeunes contemplent la ville du haut du KICC, Nairobi

Moi, Nairobi, j’apprends petit à petit à lui faire confiance. Et vous, ça vous tenterait de vous y attarder en route vers un safari ?

**terme Swahili utilisé en Afrique de l’est pour se référer aux européens, blancs, étrangers ou touristes 

12 commentaires sur « Mzungu meets Nairobi »

  1. Wow do different from Paris. It must be culture shock for you. The crowding and the animals everywhere, the traffic, etc. A lot to get used to. But I know you can, it just takes time.

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    1. Thanks for your encouragements. Security is one of the issues I find most difficult to cope with. Keeping constantly « aware » of what happens around you or while in a car is tiring and utterly stressful. But all in all, I like life in this city. Let’s see what Nairobi teaches me! Happy Xmas by the way! Will you do something special? Family and friends?

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  2. Je vais peut etre passer pour désagréable (mais ça n’est pas mon souhait) mais certains propos de cet article m’ont choqué, non pas ceux décrivant le mode de vie des locaux (on le sait Nairobi c’est pas petitponeyland) mais le regard que tu y appose, probablement parce que tu n’es qu’au tout début de ton expatriation dans une sphère culturelle radicalement différente de la tienne (Espagne et France sont tout de même assez culturellement proche par rapport au Kenya). Au bout de quelque temps, on parvient un peu à se décoller de son ethnocentrisme et à voir les choses avec plus de recul (je pense). En tout cas je ne peux que te recommander cet excellent livre (le meilleur que j’ai lu jusqu’ici) sur l’expatriation des occidentaux dans ces pays si chauds et exotiques du Sud « Rade Terminus » de Nicolas Fargues (dispo en format Kindle), c’est assez mordant et surtout sans concessions. Les portraits décrits peuvent s’appliquer dans bien d’autres pays (l’action se déroule à Madagascar). Sinon, il y a aussi « la ferme africaine » de Karen Blixen ( a recontextualiser dans son époque). Bonne continuation en tout cas, l’expatriation lointaine, c’est aussi une chance unique de se découvrir soi-même (en sus de beaux paysages).

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    1. Bonjour Estèphe, merci de t’être arrêté sur ces pages. Ta remarque n’est absolument pas désagréable, au contraire, j’apprécie que tu aies pris le temps d’écrire un commentaire. En toute sincérité! En effet, je ne suis qu’au bout de toute expérience dans un pays que j’ai très envie de découvrir, et je porte certainement un regard naïf et faux (des apriori dit-on ? tu verras d’ailleurs que c’est ainsi que j’ai catégorisé ce billet). Merci également pour les suggestions de lecture, je suis toujours preneuse. « Out of Africa » m’a été offert en 3 langues différentes tout au long de ma vie mais je ne connais que le film à l’eau de rose qui en est découlé. J’attends de pouvoir le lire d’autant plus que j’ai envie de comprendre pourquoi le tourisme à Nairobi s’appuie autant sur Karen Blixen. Pour ta deuxième proposition de lecture, je prends ton conseil ! Tu sembles connaître bien Nairobi (tu y vis ? ou tu y as vécu ?). Sur ce point là, je trouve intéressant d’échanger sur ce qui t’a « choqué » dans mon texte, car le verbe « choquer », en français, a pour moi une signification très forte. Sens toi libre de m’écrire via mon onglet contact pour t’exprimer à ce sujet, j’aime les échanges et connaître des points de vue susceptibles de m’aider à comprendre certains contextes. Dans l’attente, bonne semaine à toi !

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  3. Très intéressant en tout cas ! Même si en lisant ton texte je n’ai pu respirer calmement qu’en arrivant au dernier paragraphe sur les parcs et les fleurs ;-). Ouf, une bouffée d’air ! Hâte de suivre le fil de tes impressions. Grosses bises.

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    1. Salut Xtine, c’est vrai que Nairobi impressionne pas mal mais je ne suis qu’au bout de ma découverte. Si vous trouvez l’occasion de faire une petite halte pendant votre tour de la planète vous êtes les bienvenus! On prendra grand soin de vous 🙂

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  4. Le début de ta description ressemble beaucoup à ce que j’ai connu au Nigéria il y a de nombreuses années : les compounds sécurisés, les gardes armés, la voiture en permanence… Pas mon meilleur souvenir de l’Afrique, mais chapeau pour ce calme que l’on sent dans ton billet malgré tout cela… Oui, on pourrait presque s’arrêter à Nairobi sur le trajet d’un safari 😉

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    1. Ne me parles pas du Nigéria. Chapeau d’y avoir vécu! A ce qu’on me reporte (et ce que je lis) c’est bien pire. Du moins à Lagos, en ville il vaut mieux avoir une licence d’armes. Côté pro, Mr Expat a le Nigeria sous sa responsabilité géographique et, même si je ne suis pas douillette, je crains le jour où il devra se déplacer. Pour l’instant, ils évitent. Voilà l’une des multiples raisons pour lesquelles sa boîte a choisit Nairobi comme camp de base actuellement. Nairobi est une ville agréable en soi, il faut juste connaître et respecter scrupuleusement certaines consignes. Moi, franchement je m’y plais bien!

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